Récemment, nous avons pu lire un texte paru dans un journal français qui remettait largement en cause le droit de l’Europe à s’assurer de cette autonomie en faisant appel à des partenaires indispensables pour sortir de l’impasse avant l’hiver. Ainsi, il est étrange de voir 50 élus français décider pour les 28 États membres de l'UE de la manière dont ils doivent construire leurs relations avec l'Azerbaïdjan en matière de sécurité énergétique. Ces derniers prétendent être objectifs et tentent d’imposer à l'opinion publique française la position critique classique que l’on peut lire venant souvent d’Arménie. Et ce sous le vernis de l’intégrité en dénonçant « la course effrénée vers l’exploitation des ressources de notre planète » et « la dépendance envers un Etat aux aspirations belliqueuses ».
Il faut revenir aux faits et surtout laissons de côté la partialité des élus concernés pour revenir au cœur du sujet. En fait, cela ne date pas d’aujourd’hui que l'Azerbaïdjan est devenu un partenaire énergétique fiable de l'UE. Déjà en 1997 le pétrole des nouveaux gisements de la mer Caspienne a commencé à fournir les marchés européens. Au cours de ces 25 dernières années l'Azerbaïdjan est resté une source crédible d'approvisionnement de l’énergie pour l'Europe, un facteur important de sa sécurité énergétique, surtout pour la Turquie, la Grèce, la Bulgarie et l'Italie. Depuis 2014, dans le cadre de la construction du Corridor Gazier du Sud (CGS), le projet phare de l’UE dont 25 % est financée par l’Azerbaïdjan, la compagnie pétro-gazière azerbaïdjanaise SOCAR et ses partenaires ont largement investi dans les programmes sociaux en Grèce (22 millions d'euros), en Italie (12 millions) et en Albanie (14 millions). Le territoire de la Géorgie a été presque entièrement gazéifié avec le soutien de SOCAR. D’un point de vue économique, les sociétés italiennes ont reçu 8 milliards d'euros de contrats dans le cadre de la construction du CGS, 2 milliards d'euros ont été investi en Albanie et 1,5 milliard d'euros en Grèce. En collaboration avec les pays des Balkans, en particulier l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et le Monténégro, SOCAR explore actuellement les possibilités de développement des systèmes de transport de gaz dans ces pays.
Voilà l’importance et l’effet du gaz azerbaïdjanais pour le marché européen depuis toutes ces années. Qui pourrait le nier ? Telles sont les réalités et les perspectives, évidemment plus convaincantes que la démagogie biaisée des auteurs de la tribune publiée dans « Le Monde ».
Dans ce contexte, la thèse des auteurs de cette tribune sur le lien entre les revenus des exportations de gaz azerbaïdjanais et une « extermination des Arméniens dans la République d’Arménie » n’a aucun fondement. Je me permettrais de rappeler, que lors de l'occupation des districts du Karabakh en 1991-1993, l'Arménie a procédé à une purification ethnique, en en chassant non seulement les Azerbaïdjanais mais aussi les représentants de 46 minorités ethniques et religieuses qui représentaient près de 8 % de sa population. Le Karabakh est devenu, pour la première fois dans son histoire, une région mono-ethnique, en fait, une caserne militaire arménienne. Les monuments du patrimoine culturel et religieux des azerbaïdjanais, mais aussi des autres groupes ethniques, ont été sauvagement détruits. Et aujourd'hui, après la libération du Karabakh, contrairement à ce que prétendent les auteurs de la tribune de « Le Monde », les revenus du gaz et du pétrole nous aideront à faire revivre le Karabakh : procéder au déminage, construire des autoroutes et des aéroports modernes, restaurer des villes et des villages, construire des « smart cities », conserver des monuments de culture et d’architecture (quand ils n’ont pas été détruits), les mosquées et les églises. Les résultats de ce travail de renaissance seront accessibles à tous les citoyens de notre pays, y compris à ceux d’origine arménienne.
Les approximations des auteurs de la tribune parue dans « Le Monde » sont nombreuses : l’Azerbaïdjan utiliserait sa puissance militaire « pour imposer à l’Arménie, sous couvert d’ « un processus de normalisation des relations », l’ouverture sur le territoire souverain de l’Arménie d’un corridor qui relierait la Turquie à l’Azerbaïdjan » . Une connaissance même élémentaire de l'histoire de la région leur aurait permis de comprendre qu'il s'agit de rétablir les voies de transport qui ont toujours existé, de 1920 à 1992, jusqu'au moment où l'Arménie a bloqué l'autoroute et démantèle la voie ferrée, mettant le Nakhitchevan, la région enclavée de l’Azerbaïdjan, en état de siège. Et les auteurs de la tribune ne devraient pas se faire d’illusions à ce sujet : ce blocus de 30 ans est fini et les communications de transport seront rétablies.
Je ne comprends pas non plus l'ironie des élus concernant « le processus de normalisation des relations » entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Bakou a proposé à Erevan 5 principes pour un traité de paix : le respect mutuel de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'inviolabilité des frontières internationalement reconnues ; la confirmation mutuelle de l'absence de revendications territoriales ; l’obligation de s'abstenir de porter atteinte à la sécurité de l'autre, de menacer ou d'utiliser la force contre l'indépendance politique et l'intégrité territoriale ; délimitation et démarcation des frontières d'État et établissement des relations diplomatiques ; le déblocage des voies de transport et de communications. Malheureusement, l'Arménie ne répond pas à ces propositions, retarde l'ouverture des communications, limite le processus de négociation et tente, en fait, de faire dérailler la préparation d'un futur traité de paix. C’est regrettable.
En ce qui concerne nos ambitions prétendues sur la région du Zanghezour (Syunik), je rappelle que cette région d’Azerbaïdjan a été illégalement rattachée à l'Arménie le 2 décembre 1920 pour soutenir le gouvernement communiste arménien qui a pris le pouvoir à Erevan. L'opinion de la population azerbaidjanaise, qui à l’époque était majoritaire dans cette région (53%, ou 119 mille azerbaïdjanais contre 44 %, ou 99 mille des Arméniens, selon le dernier recensement officiel de 1916), n'a pas été compte tenu. Les Bolcheviks russes ne lui ont accordé aucune autonomie – ni nationale, ni territoriale, ni culturelle. La position de l'Azerbaïdjan aujourd'hui est donc tout à fait logique : si l'Arménie ne reconnaît pas l'intégrité territoriale et les frontières internationalement reconnues de l'Azerbaïdjan, l'Azerbaïdjan, lui aussi, ne reconnaîtra pas non plus l'intégrité territoriale et les frontières de l'Arménie. Dans ce cas, pourquoi n'avons-nous pas le droit de rétablir la justice historique et de rendre Zanghezour à l'Azerbaïdjan ?
L'Arménie doit reconnaître les 5 principes susmentionnés, apprendre à vivre en harmonie avec le droit international et avec ses voisins, et abandonner sa tradition historique de haine et d’animosité envers la Turquie et l'Azerbaïdjan. Comme l’histoire l’a bien montré, le chauvinisme et le nationalisme n'ont pas aidé l'Arménie. A l’inverse, ils en ont fait un État faible et dépendant aujourd’hui et en difficulté.
Tout comme l'incitation régulière de certains élus français à l'hostilité envers l'Azerbaïdjan, leurs déclarations à l’emporte-pièce envers son peuple et ses dirigeants, n'ont pas aidé le pays dont ils sont censés protéger les intérêts. A l’inverse, l'image de la France en Azerbaïdjan est aujourd'hui à son niveau historique le plus bas, et la diplomatie et les entreprises françaises ont perdu leurs positions autrefois privilégiées dans mon pays. C’est pourquoi, enfin, nous devons favoriser au plus vite, et au-delà des différences, le dialogue respectueux et la coopération et le savoir vivre ensemble. Et aider Ursula von der Leyen et la Commission européenne à construire une Europe forte et unie. Ce sera bénéfique pour toutes les parties. Comme l’on dit de nos jours, ce sera un partenariat win-win pour l’Europe et pour l’Azerbaïdjan.
Son Excellence Rahman Mustafayev, Ambassadeur de la République d’Azerbaïdjan en France